Emotions Rhône Alpes

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L'étang de Tuille à Optevoz - Isère (38)

Peinture de Charles François Daubigny

 

La Ronde du temps

 

« Nous mourons mais nos actes ne meurent pas. Passants d’un jour, nos pas laissent dans le sable de la route des traces éternelles. Rien n’arrive qui n’ait été déterminé par ce qui l’a précède et l’avenir est fait d’un prolongement du passé. »

Jules Verne, dans les naufragés du « Jonathan ». (Posthume, 1909)

Décembre 1999 – Le Louvre – Paris

Je marchais rapidement en me protégeant de la pluie battante et des rafales de vent. Je venais juste de traverser le Jardin des Tuileries, de passer l’Arc du Carrousel et j’avançais d’un pas alerte en direction de la cour Napoléon. Je faisais maintenant face à cette magnifique pyramide de verre. Le temps ne me permit pas d’admirer l’œuvre de Leoh Ming Pei. Je pris  subitement sur ma droite pour me diriger vers l’aile Denon afin de m’y abriter. Après avoir pénétré dans le bâtiment et ébroué mon pardessus je grimpais au premier étage sans savoir où j’allais. Je pris une première salle puis une deuxième et mes yeux s’arrêtent  brusquement devant une peinture de Charles François Daubigny intitulé « La vanne de l’étang de la Tuille à Optevoz ». Mon regard était fixé sur cette toile aux tonalités si particulières. Alors que je ne devais pas passer au Louvre, les intempéries m’y poussèrent.  Je ne savais ni pourquoi et ni comment j’étais arrivé dans cette salle du musée et quelle était cette fascination qui m’attirait vers ce tableau. Immobile j’étais comme entraîné par l’émotion du peintre. Progressivement je m’évaporais aspiré par la magie picturale de l’œuvre. Doucement je traversais le voile pour me retrouver dans mon immobile mouvement derrière le miroir… mon miroir ! Je devenais le peintre devant son chevalet à l’écoute de la nature et des couleurs qui caressaient sa pupille. Je venais de pénétrer les terres d’Optevoz, je voyais, à la toucher, cette étrange vanne. Je ne connaissais nullement cette région mais il me semblait déjà l’habiter. J’étais sur le sol de mon émotion et je vibrais des mêmes influences que ce paysage magnifié. Je fis un pas, puis un deuxième puis j’avançais vers cette représentation humanisée par la main du maître. Je marchais sur les chemins creux, au bord des rus aux ondes claires. Les rameaux frémissaient sous le souffle du vent ! Puis vint la pénombre des bois, la clarté des clairières dans lesquelles pour rêver… Je m’arrêtais soudainement. Je contournais les collines, et me promenais sous les longs peupliers. J’étais attentif aux risées qui léchaient les bruyères et qui contaient la pierre jusqu’à la lauze des toits…J’étais loin de mon rendez vous rue de Rivolie,  seul dans ce décor où les arbres sont rois et la pierre est reine. J’aimais les vieux layons, les hautes frondaisons, grisailles, soleils fous, surprises d’arc-en-ciel, aquilons, doux zéphyrs, alternant les saisons, macrocosme de paix, infini essentiel…

Puis un grand brouillard m’enveloppa pour se dissiper quelques instant après. Ma vue reprenait ses droits. J’étais au dessus d’une mer peu profonde relativement chaude, le climat était tropical. Des récifs de corail isolés et d’éponge étaient accrochés dans les calcaires à entroques. Puis en une fraction de seconde la mer s’était retirée. L’érosion commençait à user les roches en décapant le calcaire. Puis les montagnes sortirent des flots poussés par les forces terrestres en pleine mutation. Le plateau que je survolais bascula de quelques degrés vers le sud-est. Le froid s’abattit aussi vite que l’obscurité et un glacier recouvra le plateau. Celui-ci laissa lors de sa fonte de nombreuses traces ; dépôts morainiques, dalles rocheuses striées, blocs erratiques, étangs, marais, tourbières…

Aspiré par le tourbillon du temps la mutation du plateau signifiait ses contours. J’étais arrivé au terme du voyage jurassique de l’Isle Crémieu, il y a 140 millions d’années.

Un deuxième voyage se préparait. Le plateau calcaire de L’Isle Crémieu était maintenant isolé de la chaîne du Jura par la boucle d’un fleuve impétueux et sauvage. Il venait de ces nouvelles montagnes, rugissant de ses mètres cubes d’eau et creusant la colonne vertébrale de son écosystème. L’homme apparut enfin. Au début il se protégeait dans des grottes puis il construisit des cités lacustres, civilisant les rives du fleuve roi. Il Signait de ses nécropoles la ronde du temps puis s’organisait au travers de structures de plus en plus complexes pour favoriser le commerce et les échanges. La préhistoire avait vu naître les premiers hommes, la période gallo-romaine les a vu grandir. Puis vint le Moyen Âge avec ses châteaux et ses maisons fortes. Ces hommes là ont laissés leurs empreintes sur cette île et les jours, et les ans, et les siècles ont découlés du cadre d’un boulier pour compter les pages de ce calendrier. Qui d’autres que nous demeurons dans leurs châteaux, leurs maisons, qui d’autres que nous habitons dans leur village, leur région…

On ne voit pas le temps qui passe ! On n’a pas vu le temps passer ?

Il est pourtant là, bien présent, ce temps qui s’écoule d’un vaste sablier retourné chaque année, et le sable qui coule en est le bras séculier. Mais cela est-il vrai ? Jamais le temps ne passe car c’est nous qui passons, et c’est nous qui faisons un tour de passe-passe qui, comme de raison, requiert que tout au bout, à la fin soit l’impasse.

L’impasse d’un jour, l’espace d’une raison, l’Ain passe d’une région par ses contreforts du Jura dans cet onirique voyage où une toile de maître enivra de ces huiles mon irréelle vision. J’avais vécu ce passé pour vivre mon instant, citant le présent au moment de l’écrire dans la mémoire de mon devenir. De cette évaporation surgit d’un rendez vous manqué, il ne me restait plus que le souvenir de cette étreinte fugitive sur la courbe du temps. Mon esprit se régénérait progressivement. J’avais l’impression de crever la surface des eaux et ma première perception se fixa sur cette vanne, expression marquante de cet étang de Tuile à Optevoz si chère à Charles François Daubigny.

J’étais assis sur cette herbe grasse les yeux rivés sur l’eau frissonnante. Une petite brise s’était levée. Je ne m’aperçu même pas que je venais de refermer ce livre qui me fit tant rêver. Les yeux dans les cieux j’avais entamé ce formidable voyage au centre de la beauté pictural pour me plonger dans le reflet numérique de la vie. Maintenant il s’agissait de comprendre et aussi d’avancer. Toutes ces images si différentes m’ont menés à la connaissance. Elles étaient comme le pinceau peignant notre existence où l’on vit du présent… S’inspirant du passé…

Ainsi en ce mois de Décembre 2006, sur cette commune d’Optevoz en Dauphiné, loin des tempêtes parisiennes, des ossatures de verre et des grands musées, loin de ces espaces tumultueux qui ne sont pas « capitale ». j’ai appris à rêver entre peinture et photographie, ces deux formes d’expression qui se veulent unitaires. Fortes de leur existence elles se conjuguent, aujourd’hui, dans une même investigation, une même interrogation. 

Où allons-nous ?

Serge Leterrier

 

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Peinture Charles François Daubigny

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